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BIEN-VIEILLIR - À Montreuil, des femmes ont monté leur propre utopie communautaire pour bien vieillir ensemble. Une initiative solidaire à l'heure où les personnes âgées sont trop souvent négligées.  

Ne leur parlez surtout pas de maison de retraite ! “Nous ne sommes pas là pour nous retirer ! Nous sommes en plein centre-ville, à deux pas du cinéma, des magasins, du métro, de la bibliothèque”, s'exclame Kerstin Emmanuelson, résidente et présidente de la maison des Babayagas depuis janvier 2018.

Les Babayagas sont un groupe d'irréductibles seniors qui ont décidé de ne plus subir la vieillesse : en plein cœur de Montreuil, en banlieue parisienne, elles habitent la maison des Babayagas, un habitat participatif autogéré pour femmes âgées.

Dans cette résidence vivent 21 femmes, un établissement où les appartements vont du studio au 40 m2, pour un loyer mensuel de 8 euros par mètre carré, la tarification HLM. À titre d'exemple une place en EHPAD coûte en moyenne 1949 euros par mois.

 

La maison des Babayagas. © 18h39

Par ailleurs, sur l'ensemble des résidentes, âgées entre 60 et 80 ans, quatre d'entre elles sont encore en activité, comme Mina Vrillet, 62 ans, qui nous ouvre les portes de son appartement. Cette artiste plasticienne y a même installé son atelier.

L'intérieur ressemble à un appartement classique : une cuisine, un coin salon, une chambre et une salle de bains. L'ambiance y est “arty” et Mina au milieu de ses créations fait tout pour nous convaincre que nous ne sommes pas dans une maison de retraite.

La maison dispose de deux salles communes et d'un jardin. Des lieux qui leurs permettent d'accueillir les nombreuses activités proposées aux personnes de l'extérieur qui souhaitent y participer : sophrologie, cinéma, atelier de peinture. “Se mélanger aux autres est une condition essentielle au bien-vieillir” nous explique Dominique Doré, 74 ans qui y vit depuis l'inauguration du lieu en février 2013.

Adhérer aux valeurs féministes et d'autonomie

Mais alors pourquoi une résidence pour femmes âgées ? En effet, chez les Babayagas seules les femmes sont autorisées à occuper les logements de cette maison de Montreuil.

Dans un premier temps, la maison est née de la volonté de les mettre à l'abri de la précarité. La pension de retraite touchée par les femmes est bien souvent moins élevée que celle des hommes : en 2013 les hommes touchaient en moyenne 1642 euros par mois, contre 993 euros pour les femmes.

Mais aussi pour ne pas subir la répartition des tâches : “On a pas envie que les messieurs nous prennent pour des boniches”, lance Dominique Doré.

Mina Vrillet, Kristen Emmannuelson et Dominique Doré chez elles, à Montreuil. © 18h39

Pour intégrer les Babayagas, il faut adhérer à une charte féministe, écologiste et qui consacre l'importance de l'autonomie. Rien d'étonnant quand on sait que l'association a été fondée par des militantes féministes, dont Thérèse Clerc aujourd'hui décédée, célèbre pour son engagement, immortalisé dans le documentaire Les Invisibles.

“Nous ne sommes pas là pour remplacer le système actuel”

Ici, pas de personnel médical : “Nous ne sommes pas là pour remplacer le système actuel”, explique Kristen. Vivre dans la maison de Montreuil nécessite d'être dans une certaine forme physique. Celles qui ne sont plus en mesure de se prendre en charge doivent quitter le navire.

Puisque les progrès de la médecine nous permettent désormais de vivre plus vieux et dans de meilleures conditions, ne plus subir les dernières années de la vie et réfléchir à des alternatives plus réjouissantes que la maison de retraite est devenu une nécessité pour ces femmes.

La grève du personnel des EHPAD en janvier dernier a mis en lumière le manque de moyen qui frappe ces établissements d'hébergement pour personnes âgées. Nous avions d'ailleurs repéré certaines alternatives intéressantes à l'image des familles d'accueil.

Vue de l'appartement de Kristen Emmanuelson. © 18h39

Les trois femmes que nous rencontrons sont unanimes : l'importance du lieu dans lequel on vit est central pour combattre la dépendance. Contrairement à un EHPAD, ici on choisit ce que l'on souhaite manger, on a ses propres horaires, on vit sa vie comme on le souhaite. Un rempart essentiel contre le vieillissement. “Dans les établissements médicalisés la dégradation est plus rapide”, souligne Kristen.

Une affirmation confirmée par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et l'INSEE qui démontrent que dans les institutions type EHPAD, "86% des personnes âgées de 75 ou plus, sont dépendantes, et parmi elles 3 sur 4 sont des femmes".

On n'est pas venues ici pour jouer au bingo

Chez les Babayagas on se prend en main et on participe à un projet commun. “Il ne faut pas venir ici avec pour seule ambition de fuir la solitude. Ce n'est pas le but”, complète Kristen.

Très attachées à leur indépendance, les résidentes gèrent collectivement les parties communes. “Une fois par mois on fait un repas au cours duquel on règle tous les problèmes internes”, explique Dominique Doré. Ménage, jardinage, accueil des visiteurs, les Babayagas ne chôment pas.

On n'est pas venues ici pour jouer au bingo”, ajoute Kristen en riant qui se plaît à répéter qu'elle habite un “penthouse” puisqu'elle vit au dernier étage. Son appartement est plus petit que celui de Mina mais offre une vue superbe sur l'horloge de la mairie de Montreuil.

Le jardin des Babayagas. © 18h39

Après 5 années, le bilan est plus que positif, comme nous le confirme Dominique Doré. Et l'initiative des Babayagas dépasse les frontières puisque des Espagnoles sont venues s'inspirer des Françaises pour monter leur propre habitat participatif.

Une utopie communautaire bien concrète qui participe à une réflexion urgente sur le bien vieillir à l'heure où la société a de plus en plus tendance à négliger les personnes âgées.