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PORTRAIT - Ina Mihalache, artiste, vidéaste et Youtubeuse, se raconte à travers le lien qui l'unit à son appartement, qui est aussi le décor des vidéos de Solange, son double sur Internet.

On la retrouve dans le recoin d'un café parisien. Enfoncée dans un fauteuil, se servant du thé, son chien - Truite - sur les genoux. Son visage, sa posture, son sourire, tout cela est familier, mais il ne faut pas se méprendre. C'est avec Ina Mihalache que la discussion s'engage, et non avec la Solange des vidéos vues et revues par plus d'un million d'internautes. Quoi que...

Solange est un personnage fictif qui vit sur un blog et plus encore sur une chaine Youtube, Solange te parle. Ina, Québécoise sans accent, installée en France depuis plus de 10 ans, est une artiste vidéaste-comédienne, créatrice sensible et douée de ce personnage.

Voilà 4 ans que Ina, 30 ans, fait vivre Solange. Entre elles, il y a une porosité indéniable. Au fil des ans, l'écart est même de plus en plus ténu. Mais qu'importe de savoir ce qui est de Solange et ce qui est d'Ina. Ce qui est de la création pure (si tant est que cela existe), ce qui est de l'ordre du vécu.

Elles vont de pair et l'oeuvre, car on peut parler d'oeuvre sans abus pour qualifier l'univers de Solange, est remarquable de poésie, d'authenticité et d'humour sur notre quotidien.

Solange - Ina dans sa baignoire.

Solange - Ina dans sa baignoire. © Kris Maccotta

Le 6 janvier 2016 sortira son premier livre. Un recueil de textes enrichis, issus de 30 de ses vidéos. "C'est une façon de rejoindre autrement les gens que mon travail intéresse ou qui ne l'ont pas encore rencontré". Car, elle le précise elle-même, sa personnalité, sa diction et son image peuvent être un frein pour certains. En revenant "à la substance", aux mots, elle espère les conquérir.

Plus tard dans le mois, ce sera au film Solange et les vivants de voir le jour. Il sera en salle le 30 janvier et dans les e-cinemas à partir du 15 février.

Ce long métrage, comme toutes ses vidéos, a été filmé chez elle. Pour dépeindre d'abord "une bestiole inadaptée" au monde du dehors. La solitude aussi.

L'appartement est le décor. Et toutes les pièces y passent. Y compris les WC qui subissent l'injustice d'être un lieu délaissé. Solange a décidé d'y passer 24 heures pour leur rendre grâce :

Ce n'est pas trop intime de dévoiler ainsi son chez-soi ? "Cela ne me dérange pas parce que je contrôle tout ce que je montre." Chaque cadre, volontairement épuré, est soigneusement pensé. D'ailleurs, il n'y en a jamais deux identiques. "Je n'ai pas encore exploité tous les recoins", précise Ina-Solange.

Que dit ce décor-maison de Solange-Ina ? Réponse en sept touches. Autant de façons de (re)découvrir sa personnalité.

Une odeur : l'eucalyptus

L'huile essentielle d'eucalyptus, parfois mélangée à celle de pin ou sapin, parfume l'intérieur de l'appartement d'Ina. C'est principalement dans la salle de bains ou dans les toilettes qu'on la retrouve. "Mais parfois, quand ça me prend, je fais le tour de l'appart et je vaporise", ses bras miment les cercles qu'elle fait alors pour que l'odeur s'empare de tout le volume de la pièce.

"C'est une odeur verte, fraîche, et qui neutralise. Comme une chape de neige qui lisse tout le paysage et donne l'impression de repartir à zéro."

Une expérience : le tournage de Solange et les vivants

"Tout d'un coup il y avait 10 personnes dans mes 37  - ou 40, je ne sais jamais quelle taille fait mon appartement exactement -, du matériel partout dans le salon quand on tournait dans la chambre et inversement. Parfois nous étions 5 dans la petite cuisine, l'ingé-son avait un pied sur l'évier, l'autre sur le rebord de la fenêtre, le chef-op était couché par terre... Même les WC étaient occupés : on y faisait le dérush des prises [sélectionner les séquences à garder]. WC où je me suis aussi réfugiée pour pleurer parfois quand ça n'allait pas."

Un détail : le panneau "sortie" à la fenêtre

"C'est un ancien panneau lumineux que j'ai trouvé aux puces et accroché à ma fenêtre. Il a un côté "Dada" et désespéré. Il donne sur le ciel et en même temps il se délave sous la pluie. Il me fait penser à Francesca Woodman, cette jeune photographe américaine qui s'est défenestrée à 22 ans. Mais d'un autre côté, il montre la sortie à toutes les mauvaises pensées et donne la force d'indiquer la voie à tout ce qui nous enquiquine.

Et ce panneau souligne une question que je me pose beaucoup : comment fait-on quand il y a le feu à Paris ? À Montréal tout est très organisé, ici je n'ai pas l'impression. Alors je l''ai posée à un pompier. La réponse ? Elle est dans mon film, il faudra le regarder !"

Une texture : le revêtement gaufré des murs

"C'est un revêtement qu'il y a sur tous mes murs pour les protéger car ils sont abîmés. J'aime bien. Il y a un côté fainéant. C'est comme si on disait au mur : tu es amoché mais on va te garder, on va te recouvrir.

En France, comme tout est vieux, c'est une manière de s'arranger avec le vétuste. Le neuf attendra. Ici, on ne repart jamais de zéro, on fait avec l'existant."

Une couleur : celle du parquet

"Le parquet, ça fait 50% de l'atmosphère d'un endroit. En superficie, le parquet est une couleur omniprésente, le bois teinte l'air. C'est sûrement lui qui me fait passer pour une bourgeoise auprès de certains. Ce que je ne suis pas !

Et le parquet qui craque donne l'impression de marcher sur la forêt. C'est la part de nature dans l'environnement citadin."

Un souvenir : une photo avec son amoureux dans son appartement vide, avant d'emménager

"Mon père, qui est roumain et a fui la dictature de Ceausescu, travaillait dans l'immobilier, il achetait pour revendre à profit. Alors entre ma naissance et mes 15 ans, on avait une nouvelle maison tous les ans. On habitait dans les cartons du coup, on n'avait pas le temps de les vider qu'on était déjà reparti.

Cela n'empêchait pas ma mère d'accumuler énormément de choses - elle est la 5e d'une famille de 10 enfants, donc elle n'avait pas ses choses à elle, mais héritait celles des autres.

Cela m'a étouffé. J'adore le vide. Lorsque j'ai emménagé dans cet appartement, il n'y avait rien. Comme j'aime bien la nudité, comme sujet de travail et aussi pour pratiquer le naturisme, j'ai trouvé hyper inspirant le fait d'avoir un corps nu dans un espace vide. Nous avons pris des photos avec mon amoureux, tous les deux nus dans l'appartement vide.

Pour moi, les vêtements sont comme des meubles, la décoration comme du maquillage. Mais il y a quand même des gens chez qui je vais et où j'ai l'impression de visiter un vrai endroit. Contrairement à ceux qui amassent, entassent, et ça ne veut rien dire, eux arrivent à faire dire quelque chose à cet amassement. Ils m'impressionnent beaucoup, je ne suis pas douée pour mettre en forme. Mon esthétique, c'est le rien."

Un animal : vivre avec Truite

"Il y a un drôle d'enthousiasme de l'animal pour le lieu qu'il identifie comme chez soi. Quand Truite arrive dans l'appartement, elle en fait le tour à toute vitesse. Elle a plus l'instinct de propriété que nous. C'est la gardienne. C'est émouvant... il y a quelque chose d'ancestral. De tout temps les hommes ont choisi le chien comme petit avertisseur du danger. Quand on est dans l'escalier, elle vérifie qu'on est bien deux, qu'on la suit bien à chaque marche et que c'est elle qui va plus vite que nous.

Chez elle, c'est tout l'immeuble, hein ? (acquiescement de Truite) Oui...

J'ai la chance d'avoir une Truite assez paresseuse, je fais beaucoup de siestes avec elle. Elle m'entraîne dans l'hypersomnie. Quand je travaille, elle passe beaucoup de temps sur mes genoux, c'est ma petite bouillotte personnelle."

En bonus, parce que vous l'avez bien mérité :